Spoiler alert : c’est mission impossible.
Texte niveau C1-C2
Le français est une langue compliquée, surtout à l’écrit. Pourquoi le français est-il si complexe? Notre alphabet est composé de 26 lettres qui servent à transcrire 36 phonèmes (ou sonsi). Le français possède 130 graphèmes (qui sont des lettres ou des combinaisons de lettres) pour transcrire ces 36 phonèmes : par exemple, le son [ɑ̃] (comme dans maman) peut s’écrire an, en, am, em ou même aon dans paon ou faon. Et c’est sans parler des lettres muettes, bien entendu les e, t, s ou x à la fin des mots (jolie, petit, maisons, chevaux), le ent à la fin des conjugaisons (ils mangent) et parfois certaines lettres, dépendant du mot qui fait exception – le l comme dans pouls (on ne prononce ni le l ni le s) ou fils (oui, on prononce le s et pas le l dans fils) ou encore le g dans doigt ou vingt…. Et le problème n’est pas seulement l’orthographe des mots, mais aussi la grammaire orthographique qui est très complexe (Comment accorder les participes passés? Faut-il mettre un “s” aux nombres supérieurs à mille? Comment accorder un adjectif de couleur qui est aussi un nom de fruit comme orange ou marron? etc…).
Cette complexité en fait une langue complexante pour de nombreux francophones qui, s’ils s’expriment avec aisance quand ils parlent leur langue maternelle, ont des sueurs froides quand il s’agit de l’écrire et bien entendu cela décourage beaucoup de non-francophones qui ont l’impression que le français, surtout l’écrit, est une langue impossible à maîtriserii.
Si par sa structure même, le français est difficile à écrire, le malaise que l’écrit engendre vient aussi de la manière dont est enseignée l’écriture du français aux francophones (et non-francophones qui fréquentent le système scolaire francophone). Que ce soit avec la nouvelle grammaire (qui n’a rien de nouveau depuis le temps qu’elle existe) ou la grammaire classique, avec ou sans dictées (et tous les types dictées y sont passés, la dictée intelligente, la dictée zéro faute, seul ou en classe…), on ne s’en sort pas. Le niveau de français écrit des jeunes et des moins jeunes semble être en chute libre. La chose la plus terrible, c’est qu’on nous répète encore et encore que si on écrit mal, c’est qu’on pense mal. Car ne pas savoir écrire français, c’est mal, c’est une faute morale à laquelle il faut absolument remédier. En fait, bien écrire français, c’est difficile et comme pour toutes les choses difficiles à faire, il faut s’y entrainer, pratiquer, essayer de se frotter aux pires difficultés – comme l’accord des participes passés des verbes pronominaux, beurk- ce qui veut dire qu’on va probablement échouer à un moment donné et que ce n’est pas plus grave que ça.
Comme bien écrire est si important, on donne aussi souvent des conseils qui ne servent à rien qui reposent plus sur des mythes que sur des études en science cognitive ou en neurolinguistique. Ces conseils sont les mêmes depuis toujours, on me les a donnés quand j’étais jeune – c’était il y a très longtemps – et on continue de les donner aujourd’hui.
– Tu dois lire davantage! “Tu n’es pas bon à l’écrit parce que tu ne lis pas assez, tu dois lire davantage. Si tu lis beaucoup, ça va finir par rentrer”. On pense généralement que lire aide magiquement à améliorer l’orthographe, mais ce n’est malheureusement pas vraiment la casiii. De nombreux lecteurs assidus écrivent mal alors que des personnes qui ne lisent jamais écrivent très bieniv. Il est vrai que lire est une activité fantastique qu’il faut absolument encourager. Lire aide à enrichir un vocabulaire passif, ce qui est très bien, lire développe l’esprit critique, ouvre des mondes de possibilité, fait baisser le stress, enrichie culturellement, informe, développe l’empathie, fait rêver, stimule la créativité, en gros, lire rend la vie plus belle. Lire est une activité incroyablement positive. Cependant, ce n’est pas parce qu’on lit un mot, même plusieurs fois, qu’on va retenir la façon dont il s’écrit, car lire est une activité passive. De plus, lorsqu’on lit un bon livre, on se concentre d’abord sur le sens, sur l’histoire qui nous est racontée et pas sur la forme des mots en eux même. Lire pour améliorer son orthographe, c’est un peu comme regarder la coupe du monde de rugby en espérant devenir un athlète. Votre culture générale en rugby sera impressionnante et les règles du jeu n’auront aucun secret pour vous, mais cela ne veut pas dire que vous saurez vous débrouiller sur le terrain un ballon à la main.
Pour que la lecture soit un exercice efficace pour l’amélioration de l’orthographe, elle doit devenir active… il faut discerner et isoler le mot problème, le décomposer, et surtout l’écrirev, bref, il faut enfiler ses chaussures et aller sur le terrain. Mais ce n’est plus vraiment simplement de la lecture et c’est beaucoup moins plaisant.
– « Fais des dictées tous les jours, ça va finir par rentrer! » Donc si écrire un mot permet de l’apprendre plus facilement, il faut faire des dictées, c’est logique non? Et bien… encore une fois ce n’est malheureusement pas si simple! Ce n’est pas la peine de vous acharner sur vos enfants pour qu’ils apprennent à écrire en leur faisant faire une dictée par jour. Faire des dictées de textes ou de mots, en soulignant les fautes en rouge, ne va rien apporter sinon des disputes, des pleurs et gâcher un moment qui pourrait être agréable. Les dictées sont souvent décriées comme contre-productives à cause du stress et du sentiment d’échec qu’elles font vivres à ceux qui ont déjà des difficultés à l’écritvi.Si la dictée classique ne fonctionne pas si bien que ça, c’est parce que outre le fait qu’elle soit stressante et humiliante, c’est aussi une activité passive puisque ce n’est que la retranscription des mots d’un autre. Pour bien apprendre à écrire, il faut écrire avec ses mots, parler de sa réalité, expliquer un texte qu’on vient de lire ou encore inventer ses histoires. Il faut mettre le mot dans une situation qui a du sens pour nous.
Cependant, et ici on peut apporter un bémol, certains types de dictées peuvent aider si elles sont utilisées intelligemment et avec bienveillance. Les dictées diagnostiques peuvent être très utiles, car elles sont créées dans le but de vérifier et d’améliorer l’apprentissage de certaines règles de grammaire ou de piège d’orthographe. On peut par exemple les utiliser vérifier si on sait quand écrire ces, c’est, s’est ou sais. Si on fait des erreurs, alors il faut revoir la règle et essayer de l’appliquer d’abord en faisant des exercices pour voir si la règle a été comprise et ensuite en écrivant ses propres textes pour voir si elle est mobilisable en situation d’écriture. La dictée diagnostique aide à voir ce qui fonctionne et ne fonctionne pas à l’écrit, elle sert de support à une réflexion plus large, et comme elle n’est pas notée, elle dédramatise « l’échec » de ne pas savoir écrire un mot.
– « Apprends le latin, c’est bon pour apprendre le français ». Si vous aimez l’histoire, l’antiquité, la linguistique, l’ethnolinguistique ou que vous avez une curiosité pour les langues mortes, apprendre le latin, c’est fantastique (et tellement difficile, vive les déclinaisons!). Mais apprendre le latin classique ne vous aidera pas à apprendre le français. Le français et le latin n’ont, en effet, plus grand-chose en commun, que ce soit la grammaire ou l’orthographe. Bien entendu, il y a eu une relatinisation de la langue française durant la renaissance (c’est à cette époque que le mot doigt gagne son g – il s’écrivait doit- pour le rapprocher de digitus en latin), mais cette relatinisation était plutôt artificielle et basée sur le latin classique alors que le français est un dérivé du latin vulgaire. De plus, les difficultés de la langue française ne viennent pas forcément du latin, par exemple l’accord des participes passés est arrivée tardivement de l’Italien. En gros, dire que le latin serait utile pour apprendre à écrire français, c’est comme si on considérait que le saxon était indispensable pour apprendre à écrire anglais. Alors certes, comme plaisantait Alain Reyvii, quand on parle français, en un certain sens, on parle latin (et j’avoue que c’est très classieux de dire qu’on parle couramment une forme de latin moderne), mais la grammaire latine classique ainsi que l’orthographe des mots en latin ne vous aideront pas à écrire en français, car ils sont trop éloignés du français – et si vous n’arrivez pas à retenir l’orthographe en français, pourquoi en plus l’apprendre en latin? In summa, Latine bonum sed Gallice recte scribere non prodest.
C’est bien beau tout ça, mais comment on améliore son français écrit?
Décomplexer
L’écriture est un outil formidable qui permet de fixer une pensée, de la rendre permanente, de la transmettre à travers le temps, mais pas de la former. Donc si vous faites des fautes, parce que vous êtes dysorthographique, dyslexique, que vous souffrez d’un trouble de l’attention ou que vous n’êtes juste pas bon.ne en orthographe, ça ne veut pas dire que vous êtes stupide, ça veut dire que vous ne maîtrisez pas un outil. C’est tout! Une étude comparative de 1995 (je sais, ça date un peu) avait montré que si l’orthographe était déjà en déclin (en comparant les copies d’élèves de 6ème de 1920 et de 1995), les capacités de raisonnement et d’argumentation étaient quant à elle en progrès. Ce n’est donc pas parce qu’on écrit mal qu’on pense mal.
Écrire des textes
Le meilleur moyen pour améliorer son français à l’écrit c’est… en écrivant un peu tous les jours. Bien entendu, écrire des dictées, c’est quand même écrire, mais il existe une distinction entre créer un texte et retranscrire une dictéeviii, car ce ne sont pas les mêmes types de réseaux neuronaux qui sont activés lors de la dictée et lors de la création de texte. Il s’agit d’écrire des textes personnels sur des sujets qui vous sont proches. Ce peut être simplement décrire sa journée, un souvenir d’enfance, un livre qu’on est en train de lire, écrire une synthèse de recherche, des poèmes ou un essai de philosophie selon vos centres d’intérêts et bien entendu, votre niveau de français. Si vous n’êtes pas francophone natif, commencez par parler de vous, de vos proches, puis plus vous avancez vers le niveau B2, plus vous pouvez vous éloigner de ce premier cercle, écrivez à propos des livres, des séries, de la musique que vous aimez. Plus vous êtes à l’aise, plus vous pouvez gagner en abstraction et parler de choses plus complexes. Et à ce qu’il parait, il serait préférable d’écrire à la mainix. Amoureux du papier, c’est le moment de sortir vos stylos et vos cahiers!
Reconnaître que ce qu’on fait ce sont des erreurs et pas des fautes.
Le mot même de « faute » d’orthographe porte avec lui un lourd sous-entendu moral. On fait des erreurs d’orthographe et grammaire et pas des fautes! Une erreur peut facilement se corriger. Elle n’implique pas la valeur morale de la personne qui la commet. D’ailleurs, on apprend de nos erreurs, pas de nos fautes!
Et donc apprendre à reconnaître et aimer ses erreurs
Il ne faut pas voir vos erreurs comme quelque chose dont vous devez avoir honte, mais au contraire, comme un pas sur la voie de l’amélioration. Si on ne fait pas d’erreur, on ne progresse pas. Il est donc très utile de garder ses erreurs sous les yeux. Ainsi, je vous conseille de toujours garder la version erronée et la correction dans votre cahier ou dans un petit carnet d’erreurs. Certaines erreurs sont des erreurs de grammaire, pour un non-francophone ça peut-être utiliser « de le » au lieu de « du » ou « à le » au lieu de « au » ce qui est logique puisqu’on dit « de la » et « à la », ou des erreurs d’orthographe. Par exemple, quelqu’un va systématiquement écrire un retour avec un « s » silencieux final même au singulier et pourquoi pas puisque toujours et discours en ont un. Il ne faut pas chercher à éviter ses erreurs en utilisant des synonymes, mais au contraire, il faut vous contraindre à utiliser les structures ou des mots qui vous posent problème le plus possible. Notre cerveau à tendance à aller vers le plus efficace et le plus facile, parce que c’est la manière la plus intelligente de procéder, mais pour corriger ses erreurs, il faut les confronter le plus possible. Mon erreur préférée, celle que je faisais toujours (et qui m’échappe encore de temps en temps) est d’écrire « un discourt » avec un « t » à la fin (normalement, il faut un « s » silencieux). Je ne sais pas pourquoi, j’ai toujours eu envie de mettre un « t » à la fin de ce mot. Et c’est ce que j’ai fait, pour mon mémoire de maîtrise qui portait sur « le discourt » écrit en très gros sur la couverture de mon mémoire. À l’époque, j’en étais mortifiée, mais j’ai fini par en rire, et maintenant, je sais comment écrire discours (même si personnellement, je trouve que c’est plus joli avec un « t » à la fin!).
Se poser des questions.
Il faut aborder la grammaire et l’orthographe française avec une curiosité bienveillante, et c’est très difficile à faire. La grammaire par question pour moi est très utile, les questions peuvent être: Qui? Quoi? Combien? Féminin ou masculin? Un ou plusieurs?
Relire ses textes à l’envers.
Note cerveau est fait pour chercher du sens, pas savoir si chaque mot est bien orthographié, si chaque accord est bien respecté, c’est pour cela qu’on peut retrouver facilement le sens d’un texte dont les lettres sont dans le désordre.
Une édute de l’uievnrtisé de Cbrmidgae a mtnroé que l’on puet sans pobrmlèe lrie un txtee dont les lretets snot dnas le ddérsroe pour peu que la perèrmie et la dirreène letrte de cqahue mot rnseett à la bnone palce. Ceci mntroe que le crevaeu ne lit pas toeuts les ltteers mias prend le mot comme un tuot. La pvuree : aeuvoz que vous n’avez pas eu de mal à lire ce txtee. (Une étude de l’université de Cambridge a montré que l’on peut sans problème lire un texte dont les lettres sont dans le désordre pour peu que la première et la dernière lettre de chaque mot restent à la bonne place. Ceci montre que le cerveau ne lit pas toutes les lettres, mais prend le mot comme un tout. La preuve : avouez que vous n’avez pas eu de mal à lire ce texte.)
Donc si vous voulez relire vos textes, commencez par la fin et remontez à l’envers, ça forcera votre attention sur les mots et non plus sur le sens parce que le cerveau n’a besoin que de la première et de la dernière lettre pour recréer le mot.
Utiliser un correcteur automatique ou humain.
Écrire un texte seul.e et espérer qu’il n’y aura pas de fautes ne suffit souvent pas- sauf si vous êtes très bon.ne en orthographe, ce qui à mon avis est un super-pouvoir de mutant qui mérite son super héros dans l’univers de Marvel. Pour le commun des mortels, il faut se faire relire, soit par des logiciels, soit par des personnes. Les correcteurs humains ou digitaux sont très utiles, parce que plus le texte est long, plus il est complexe, plus il y a de chances qu’il y ait des fautes qui se glissent par-ci, par-là. Si vous n’avez pas l’argent pour investir dans les services d’un correcteur humain ou un logiciel de correction comme antidote, je vous recommande bonpatron ou encore languagetool. C’est gratuit – languagetool offre aussi une version payante plus complète – et fantastique!
Et pour finir, il faut accepter que vous laisserez toujours passer une ou deux fautes et que c’est pas grave!
Oui le français, c’est beau mais c’est difficile à écrire.
Je vous laisse donc méditer sur ce message que l’artiste et poète Roger Chomeaux (ou Chomo comme il s’appelait lui-même) a laissé à la postérité :
« Tou se qi e bo e tun pieje » (tout ce qui est beau est un piège).
C’est tout pour aujourd’hui!
Références:
iiFayol Michel, Bonin Patrick, Collay Sandra. La consistance orthographique en production verbale écrite : une brève synthèse. In: L’année psychologique. 2008 vol. 108, n°3. pp. 517-546.
iii Bosman, A. M. et Van Orden, G. C. (1997). Why spelling is more difficult than reading. In C.A. Perfetti, L. Rieben, et M. Fayol, (dir.), Learning to spell: Research, theory, and practice across languages (p. 173-194). Hillsdale: Lawrence Erlbaum Associates.
ivNoor, Gusti Rayyan et al. “Correlation of English students’ reading habits and their writing ability.” International Journal of Educational Studies in Social Sciences (IJESSS) (2022).
v Bosse M-L, Chaves N., Largy P. & Valdois, S. (2015). Orthographic learning during reading: the role of whole word visual processing. Journal of Research in Reading, 38, 141-158.
vi Sautot Jean-Pierre. La dictée, un exercice ?. In: La Lettre de l’AIRDF, n°57, 2015. pp. 25-33.
viiRey Alin, Duval Frédéric, Siouffi Gilles Mille ans de langue française, histoire d’une passion. 1 Des origines au français moderne. Tempus Perrin, 2007
viii Manuel Pérez, Hélène Giraudo, André Tricot. Les processus cognitifs impliqués dans l’acquisition de l’orthographe : dictée vs. Copie.. 2016.
ix Bosse ML, Chaves N, Valdois S. Lexical orthography acquisition: Is handwriting better than spelling aloud? Front Psychol. 2014 Feb 10;5:56.
Ihara AS, Nakajima K, Kake A, Ishimaru K, Osugi K, Naruse Y. Advantage of Handwriting Over Typing on Learning Words: Evidence From an N400 Event-Related Potential Index. Front Hum Neurosci. 2021 Jun 10;15
Smoker, Timothy J. et al. “Comparing Memory for Handwriting versus Typing.” Proceedings of the Human Factors and Ergonomics Society Annual Meeting 53 (2009): 1744 – 1747.